Le vendredi 16 septembre, un numéro à ne pas manquer ! Les dessinateurs du journal satirique commentent l’actualité.
Dans ce numéro, un sondage exclusif : "Qu’attendent les Français des candidats de gauche ?" Et un cahier de 4 pages avec tous
les débats de la fête de l’Humanité.
Charb « Mai 68, c’était très bien. Mai 2012, ce sera vachement mieux ! »
Dessinateur de presse et directeur de la publication de Charlie Hebdo, Charb proposait dans l'Humanité du 1er juillet 2011 son
abécédaire.
A comme… artiste. Je sais bien que ce que je fais ressemble un peu à de l’art mais j’ai plus l’impression de faire du
journalisme, sans être journaliste non plus. Disons que je commente l’actualité de manière plus ou moins artistique, mais je commente l’actualité d’abord.
B comme… banlieues. Quand la banlieue se révolte, c’est une forme d’expression. Mais cette révolte est
représentée dans les médias simplement comme une agitation. Personne ne voit les revendications qu’il y a derrière. Parce qu’il n’y a pas de porte-parole. C’est simplement que les gens sont au
bout du rouleau et qu’ils n’ont pas d’autre moyen de s’exprimer. Je souhaite que la prochaine émeute n’ait pas lieu en banlieue. Que les mômes arrêtent de péter leur quartier. Et qu’ils
réussissent à s exprimer. Là, ce serait formidable. Et on va y arriver.
C comme… Charlie Hebdo. Charlie, c’est une grosse verrue plutôt jolie sur le visage de la presse française. Une verrue
qui donne un sens. C’est ma raison de vivre, ça fait dix-neuf ans que j’y suis et j’espère y rester encore au moins autant. C’est pour moi le seul journal libre dans tous les sens du terme. Un
journal qui ne vit pas de publicité et qui refuse d’en vivre. Et, quelles que soient les époques, je n’y ai jamais été censuré. Les comptes ont été très mauvais les deux dernières années. Si les
lecteurs nous achètent on vit, si les lecteurs ne nous achètent pas on meurt. Les journaux capitalistes qui donnent des leçons sur le respect de la loi du marché survivent grâce à la
recapitalisation des gros actionnaires. La moindre grippe peut nous emporter. C’est un journal de liberté absolue, mais la liberté n’est pas rentable. Et comme on est un peu atypiques, on ne
bénéficie pas des réseaux médiatiques. Les patrons de presse partent en vacances à Marrakech ensemble et nous, nous ne sommes quasiment plus repris dans les revues de presse. Tout le monde
connaît Charlie Hebdo, mais tout le monde ne sait pas que ça existe encore. C’est ça qui est incroyable !
D comme… dessin de presse. Le dessin, c’est ce qui nous donne un avantage sur tous les autres médias. Par exemple,
nous sommes les seuls à avoir pu dessiner la femme de ménage de DSK, on peut lui donner un visage. Au moment des caricatures de Mahomet, on a mis en scène le Prophète, et pourtant, personne n’a
sa photo ! C’est clairement une grosse déconnade et, en même temps, on fait passer des choses. On peut dire des choses très dures par le dessin dans la mesure où on soupçonne toujours qu’il y a
un second degré possible et, du coup, ça n’a pas la violence du texte.
E comme… église(s). C’est traditionnellement la cible privilégiée du Charlie Hebdo. À une époque, ça se résumait à
l’Église catholique, parce qu’elle était omniprésente et omnipotente. Et puis, au fil de l’actualité, ça a été aussi l’islam. À la suite de l’histoire des caricatures de Mahomet, on a eu un
procès avec trois associations musulmanes, mais on oublie de dire qu’on a eu treize procès avec l’extrême droite catholique ! Si on avait perdu le procès des caricatures, on peut être sûrs que ça
aurait fait jurisprudence et que le blasphème serait devenu un délit en France ! C’est au-delà du rire ! On défend la laïcité, mais en réalité, on est un journal d’athées militants. Je suis pour
les signes ostentatoires. Quand il y a marqué « con » sur la personne d’en face, au moins je gagne du temps.
F comme… féminisme. Je me suis déjà imaginé être une femme en France. Aujourd’hui, je n’ai pas envie, et plein de
femmes doivent se dirent la même chose ! C’est étonnant que la situation de la femme ait si peu évolué depuis des siècles ! Longtemps les féministes ont prêché dans le désert. Leur situation ne
changeait pas beaucoup, mais au moins elles avaient l’occasion de s’exprimer sans qu’on leur tape sur la gueule. Aujourd’hui, certaines n’osent même plus se dire féministes, parce que ça fait
ringard, un peu Mamie Nova.
G comme… guerre(s). C’est une des raisons pour lesquelles je suis content de travailler à Charlie Hebdo. C’est le
journal où on peut s’opposer aussi radicalement à la guerre. Quitte à se faire traiter de Munichois. C’est étonnant de voir qu’en France, il n’y a même plus de débat sur la légitimité de la
guerre comme moyen d’action. Ni en Libye ni en Afghanistan. Le seul prétexte qu’on trouve pour parler de la guerre, c’est le fait que ça coûte cher. C’est la Rolex qu’on n’a pas les moyens de se
payer.
H comme… Hara-Kiri. C’est le glorieux ancêtre de Charlie Hebdo. S’il n’y avait pas eu Hari-Kiri et Cavanna, il n’y
aurait pas Charlie Hebdo aujourd’hui. Ce qui est arrivé à ce journal, heureusement, n’arrivera pas à Charlie : Hara-Kiri a été censuré après la couverture sur la mort du général de Gaulle.
Aujourd’hui, j’imagine mal qu’un Sarkozy cherche à nous censurer de cette manière-là. Par contre, on peut être harcelés judiciairement. Il y a des petits journaux satiriques qui crèvent sous les
procès. On a la chance d’avoir une notoriété suffisante pour effrayer un peu ceux qui voudraient se payer Charlie Hebdo.
I comme… internet. Charlie Hebdo est atypique sur le papier. C’est donc sans doute à nous d’être atypiques sur
Internet ! Animer des dessins de presse sur Internet, ça serait possible et c’est à cela que nous réfléchissons. Mais il faut une équipe technique capable de le faire et les moyens. Déjà, pour
nous, sortir le journal toutes les semaines, c’est un miracle renouvelé 52 fois par an.
J comme… journaliste. Je ne m’imaginais pas avoir un jour une carte de presse. Moi, je commente l’info et, bien
souvent, mon commentaire consiste à me foutre de la gueule des journalistes. L’exemple que je prends toujours est celui de la couverture de Charlie que Luz avait dessinée après le crash du vol
Rio-Paris. On y voyait l’avion en train de s’écraser et le titre était : « 228 disparus, 228 abstentions en plus aux européennes ! » Notre propos n’était évidemment pas de nous moquer des gens
qui meurent dans un accident d’avion, mais bien le fait que l’info, à ce moment-là, ne tournait qu’autour de l’abstention aux européennes, sans jamais parler du fond des programmes politiques. On
se moque moins de l’événement que de son traitement journalistique.
K comme… képi. Je regrette le temps du képi quand je vois les ridicules casquettes des flics aujourd’hui. Ils se
déguisent en mômes de banlieue, c’est grotesque. Avec le képi, tu voyais un flic. Là, tu ne sais pas si tu vois un rappeur, un joueur de base-ball. Ça manque de signe ostentatoire !
L comme… l’Humanité. C’est le seul journal pour lequel je travaille, en dehors de Charlie, de manière régulière. Pas
parce que j’ai un besoin délirant d’argent, ni de reconnaissance. Mais parce que c’est le journal qui, quand j’arrête de faire l’andouille dans Charlie, traduit le mieux mes idées. Et si un jour
l’Huma devait disparaître, ce serait une catastrophe ! Je lis tous les journaux, et l’information est souvent traitée d’une même façon neutre d’un titre à l’autre, de Libération au Figaro.
L’Humanité, c’est un journal de combat. Ça me fait chier, les difficultés dans lesquelles se trouve l’Humanité ! La presse est chère, car elle est chère à produire. La liberté, ça se paie.
M comme… Maurice et Patapon. Pour me reposer du dessin politique et d’actualité, il y a Maurice et Patapon. Ça ne
prend pas beaucoup de place, trois cases. C’est l’instant crétin dans Charlie Hebdo. Il y a un chien, un chat. Le chien est complètement obsédé et libertaire, le chat est coincé et réac, il
représente la société et la morale. Maurice et Patapon ont beaucoup d’amis, même si ce n’est pas 30 millions.
N comme… nostalgie. « C’était mieux hier », Charlie ne l’a jamais écrit et, j’espère, ne l’écrira jamais. Parce que ce
n’est pas vrai. Et même si ça l’était, il faudrait nier cette vérité et faire en sorte que ce soit mieux demain. Pour résumer : Mai 68, c’était très bien. Mais, mai 2012, ce sera vachement
mieux !
O comme… opinion. À titre personnel, je soutiens le Front de gauche. Son programme est celui qui me ressemble le plus
et ce vers quoi j’ai envie d’aller. C’est à mon sens le plus complet, y compris avec le volet écolo qu’il y a maintenant dans le Front de gauche. J’attendais le résultat du vote des communistes
pour voir pour qui j’allais voter en 2012. Maintenant je sais, je voterai Mélenchon !
P comme… primaires. Les primaires chez les Verts et chez les socialistes, je les trouve absurdes. C’est aux partis de
se démerder en interne, démocratiquement ou non, je m’en fous, pour choisir un candidat, établir un programme et le soumettre aux électeurs. Penser que plus il y a d’élections, plus c’est
démocratique, c’est n’importe quoi. Le PS va peut-être se retrouver dans la situation de soutenir un candidat choisi hors de ses rangs.
Q comme… le Q. Après le dessin de presse, il reste le cul. On est assis dessus toute la journée et, après huit heures
de boulot, il faut bien qu’il serve à autre chose ! Aujourd’hui, dans Charlie, il y a moins de cul que dans les années 1970. Lutter pour plus de cul, c’était alors un combat politique.
Aujourd’hui, le cul est commercial. Ce n’est plus l’enjeu d’une réflexion ou la revendication d’une liberté.
R comme… révolution. Je l’attends. C’est le saut dans l’inconnu le plus total. Peu d’organisations arrivent avec un
programme révolutionnaire assumé. La révolution, on ne sait pas quand ça va arriver, ni où ça va. On regarde les pays arabes, on les comprend et on les applaudit. Mais nous n’arrivons pas à faire
chez nous ce qu’ils font chez eux. D’ailleurs, on ne dit plus le mot « révolution » tout court. On dit « révolutions arabes »… La droite a fait son boulot de contre-offensive.
S comme… Sarkozy. Ça fait vingt ans que je dessine, et c’est la première fois que je dessine un seul mec pour
représenter toute une politique et tout un gouvernement ! Le bon côté des choses, c’est qu’il est facile à dessiner, mon trait un peu lourdaud lui va bien. Le problème, c’est que nous n’allons
plus savoir dessiner, à force de ne crayonner que lui ! J’aimerais bien dessiner Fillon, de temps en temps, mais il faudrait que j’aille chercher sa photo sur Internet parce que je ne sais plus
comment il est coiffé. Avec Raffarin, je n’avais pas ce problème !
T comme… tauromachie. Le ministère de la Culture a demandé que la tauromachie soit classée au Patrimoine immatériel de
l’humanité. Nous, à Charlie, nous dénonçons la violence sur les animaux. Pour moi, la torture animale, ce n’est ni un art, ni un sport, ni un spectacle. On a un discours un peu extrémiste sur la
question à Charlie, mais en face, il n’y a pas de nuance non plus ! La tradition, la tradition… mort à la tradition !
U comme… utopie. L’utopie, c’est devenu une insulte depuis que la droite décide du bon goût. Même à gauche, on n’ose
plus le dire. Parce que l’utopie, c’est irréaliste, rêveur, immature… La gauche a intégré ce discours. Pour moi, ce n’est pas un gros mot. Et rêver que demain il y ait un peu de justice sociale,
normalement, ça ne devrait pas faire se bidonner toute la droite et, surtout, ne pas faire rougir toute la gauche. C’est comme pour le communisme. Quand le communisme est attaqué, « on » sort
Staline. Et les communistes regardent le bout de leurs pompes en disant « ouais, c’est vrai ». Si on commence à comptabiliser les morts, le libéralisme a fait plus de victimes que le stalinisme !
Ce n’est pas pour autant que « vive le stalinisme » ! D’ailleurs, aujourd’hui, on ne dit plus « communiste ». On dit « les millions de mort du communisme ». La honte de la gauche m’ennuie. Cette
honte qu’on a réussi à mettre dans la tête des gens qui ont toujours voté à gauche. Mais voilà, c’est pas à la mode, pas branché, pas dans l’air du temps, pas glamour. Comme lorsqu’une petite
vieille passe à la télé en disant : « Travailleurs, travailleuses… » C’est pas glamour, mais ça a encore du sens.
V comme… vélo. Ce que je reproche au Tour de France, ce n’est pas le dopage. Il y a plein de cadres supérieurs qui
prennent de la coke pour « tenir » et ça n’a jamais été critiqué. Mais que le vélo en tant que sport, et que le sport en général, soit obligatoire et traité comme une information, pour moi, c’est
une aberration. D’accord, il y a un business, mais le sport, ça reste un loisir. Et quand c’est à égalité, dans les médias, avec la guerre en Libye, c’est fou. Qu’on arrête de faire du sport une
religion obligatoire !
W comme… deux fois V. La victoire au premier tour et la victoire au second tour !
X comme… xénophobie. C’est le produit à la mode qui se vend le mieux en ce moment. La lutte contre la xénophobie,
c’est un cheval de bataille de Charlie Hebdo, au même titre que la religion, la tauromachie ou le sport. C’est ce qui me révolte le plus, et le sujet sur lequel j’ai le plus de mal à dessiner
tellement je sens que ça va mal tourner. Tout le monde dit : « Marine Le Pen a changé. » Non. Le FN a juste changé de coupe de cheveux. Moi, je m’en fous qu’ils soient racistes ou non à l’UMP,
ils mènent une politique raciste. C’est la même chose. Quand on voit les réacs qui passent aujourd’hui dans les médias, quand on entend des gens comme Éric Zemmour se plaindre qu’en France « on
ne peut plus rien dire »… Non ! Seulement, on ne peut plus être violent avec les homosexuels, les femmes ou les étrangers. Leur liberté d’expression s’est réduite sur ces trois thèmes-là. Et de
fait, en disant qu’ils ne peuvent plus s’exprimer sur ces trois sujets, ils expriment leur xénophobie, leur misogynie et leur homophobie. Et ils sont dans tous les médias…
Y comme… yankee. Obama, symboliquement, c’est fort. Mais j’attends que le symbole ait bien pénétré la société. Pour le
moment, la photo est plus agréable à regarder qu’avec Bush. Mais ça reste une photo.
Z comme… zoophilie. Comparer l’homosexualité à la zoophilie, c’est le cerveau reptilien de l’UMP qui parle. On a juste
l’impression d’être dans un autre siècle, dans un autre pays. C’est difficile d’associer les discours de l’UMP sur l’homosexualité à la France des Lumières, de la tolérance.