Dans mon billet publié au lendemain des rassemblements du 11 janvier, je m'étais contenté de reproduire la couverture de l'Humanité avec cette foule impressionnante rassemblée place de la République et sur la dernière de couverture, ce carré blanc, orphelin du dessin hebdomadaire de Charb. Je disais aussi vouloir faire part de mon ressenti dans un billet à venir.
On a entendu le gouvernement parler à ce sujet d'unité nationale, de la solidarité de la communauté internationale. Pour ma part, pas un instant je n'ai cru que tous manifestaient pour la défense de la liberté d'expression, la démocratie, la tolérance. Je crois que ce qui a réuni ces millions de personnes, c'est le besoin de dire non à cette barbarie, au terrorisme et de manifester une certaine compassion pour les victimes. Quant à la présence de nombreux chefs d'états étrangers ou de leurs représentants, si la raison des rassemblements n'avait pas été aussi grave, il y aurait de quoi en mourir de rire. Comment certains ont-ils pu défiler pour la liberté d'expression, contre la haine, symbolisées ce jour-là par le « Je suis Charlie ».
Parmi ceux qui entouraient François Hollande :
M. Ahmet Davotoglu, premier ministre de Turquie, l’une des plus grandes prisons de journalistes et dont on sait les compromissions honteuses avec le prétendu « État Islamique »
Benjamin Netanyahou, premier ministre d’Israël alors que 16 journalistes palestiniens ont été tués en 2014 par les forces de sécurité israéliennes.
Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie d’une Russie qui musèle sa télévision et réprime de nombreux journalistes.
Antonis Samaras, le premier ministre grec qui en juin 2013 a ordonné sans préavis la fermeture de la chaîne de radiotélévision publique ERT entraînant la mise à la porte de près de 2 700 salariés.
Nizar al-Madani, représentant de l'Arabie Saoudite où une femme accusée de meurtre a été décapitée de trois coups de sabre dans la rue le lendemain du rassemblement parisien, où le blogueur Badawi a été condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir osé critiquer la police religieuse. Les coups doivent être donnés par 50 chaque vendredi, jour de prière, en public. L'exécution de la sentance a commencé.
Victor Orban le premier ministre hongrois, qui a fait main basse sur les médias de son pays en faisant voter en 2010 une loi très restrictive sur les médias, qui donne au gouvernement un contrôle étendu sur l'information.
La reine de Jordanie dont le pays est lui aussi coutumier des arrestations de ses journalistes jugés dissidents.
Ali Bongo le président gabonais qui tient son pays d'une main de fer. La liberté d’expression y a connu un recul au cours de ces dernières années avec des interpellations de journalistes et éditeurs de presse d'opposition.
M. Rajoy, premier-ministre espagnol, qui vient de faire voter une loi restreignant le droit de manifester. Comment peut-il défendre la liberté ce jour-là alors qu’il l’étrangle dans son pays ?
Et que dire des Merkel et autres Juncker pour ne citer qu'eux, dont les mesures d'austérité contribuent à ériger les murs d'injustice qui divisent notre société.
Les Charb, Wolinski, Cabu, Honoré, Tignous, Ourrad, Elsa ou Maris auraient eu matière pour leur dessins ou chroniques en voyant ces ennemis de la liberté fouler quelques hectomètrres du pavé parisien et tenter de récupérer cet élan populaire contre la haine et pour la liberté d’informer.